Interroger le ciel

天问 tiān wèn

Les Chinois ont tout dernièrement envoyé une sonde spatiale martienne que les gazettes européennes, ont appelé, en pinyin, selon les directives chinoises, « tianwen-1 ».

Mais le système pinyin de transcription des sons du chinois en lettres latines, hors de Chine, ne comporte aucune indication de tonalisation des idéogrammes concernés.

Aussi nombre de lecteurs sinophones du communiqué chinois ont dû en conclure qu’il s’agissait là du nom général d’un engin astronomique. Ils n’ont pas tort dans la mesure où le binôme « tianwen », si on interroge les dictionnaires, donne invariablement : tiān wén 天文 , astronomie.

Le mot mérite une première remarque. « Astronomie » est composé de deux racines : « astro » qui fait référence aux astres du ciel, et « nomie » qui vient du grec nomos  signifiant : administrer.

L’astronomie est donc ce qui permet d’organiser les astres de la voutes célestes. Mais un premier hiatus vient ici s’interposer entre deux cultures. Pour les occidentaux il s’agit de mettre de l’ordre dans le ciel étoilé en particulier à cause de ces « errantes » (planein en grec) les planètes qui n’arrêtent d’avancer et de reculer dans le couloir de la ceinture zodiacale où elles se trouvent.

Mais ce n’est pas ce qui est écrit en chinois !

Si bien entendu le caractère : tiān 天 signifie bien le ciel, l’idéogramme wén文, lui, désigne fondamentalement des lignes, celles que l’on voit à l’aubier des arbres et aux filons des minéraux dans la terre. De cette écriture linéaire due à la nature il en est venu, sans solution de continuité, à désigner les lignes écrites par les humains, les idéogrammes qui sont construits à l’aide d’un répertoire linéaire d’à peine huit traits.

Allant plus loin, l’idéogramme wén文 va désigner la culture, et à partir de là, l’élégance, le raffinement. Et lorsqu’on lève les yeux les idéogrammes écrits par la nature dans le ciel, ces groupements incertains que nous appelons des « constellations » et qui en  fait sont différents et propre à chaque culture. Dans le ciel nocturne des nuits d’été, les astronomes gréco sumériens ne voyaient pas les mêmes constellations que les fonctionnaires astronomiques chinois dont l’acuité visuelle ne laissait en rien à désirer.

Au cours des années 70 du siècle passé, les astronomes américains butaient sur un problème qui les navrait. Quant ils branchaient leurs télescopes vers une certaine région du ciel, ils y décelaient une intense communication d’onde radio sans pour autant y percevoir la moindre onde lumineuse.

A ses collègues intrigués par ce fait, Hong-Yee Chiu, un astrophysicien américain qui travaillait sur le sujet dans les années 1960, a conseillé de se renseigner sur les registres astronomiques chinois de la période pré-impériale. Ils y trouvèrent la mention d’une étoile qui fut longtemps visible en plein jour, justement dans cette partie du ciel qui intriguait ses collègues. Et c’est ainsi qu’ils purent conclure que cette étoile était un soleil en train de mourir et qui, en s’effondrant sur lui-même, était devenu un trou noir tellement dense qu’aucune lumière ne pouvait même plus en sortir.

L’extrême précision des anciens registres astronomiques chinois sont une source inestimable d’informations scientifiques même si parfois ils peuvent aller à l’encontre de certaines traditions religieuses. Lors de mon séjour à Hong-Kong en 1979, j’ai interrogé des professeurs du « Royal Observatory », qui m’ont confirmé n’avoir en leurs archives aucune mention de l’Étoile de Bethléem qui auraient guidée les Rois mages vers le lieu de naissance de Jésus.

Mais quel rapport tout cela-à-t-il avec le module spatial chinois envoyé sur Mars pour y interroger la formation du système solaire et pour y déterminer s’il y eut un jour une forme de vie sur Mars ?

C’est une simple indication de prononciation du nom de ce module spatial qui va apporter la réponse. Le nom qui lui a été donné, et quiconque est familier de la culture chinoise sait très bien que les nominations sont toujours porteuses de significations.

Or justement ce module spatial à reçu comme nom : tianwen ! Vous me direz : mais c’est le même que celui dont il est question plus haut ! Dans un media occidental, vous auriez raison, car là l’écriture pinyin des idéogrammes chinois  ne s’embarrasse pas de la tonalisation des caractères.

Ce qui fait disparaître ici qu’il ne s’agit pas d’une sonde américaine, russe & chinoise dans ce binôme du caractère wén文, mais d’un homophone, l’idéogramme wèn 问 , qui en chinois courant signifie : interroger. Et c’est là que se révèle l’élégance de la nomination de cet engin spatial.

Son nom, signifiant littéralement : « interroger le ciel » correspond bien à l’objectif des missions conjointes (chinoise, américaine & russe) de chercher à savoir comment, à partir de son échec sur Mars, la vie a pu advenir sur terre.

Mais il manque aux deux dernières un clin d’œil culturel qui donne toute sa saveur au nom de la mission chinoise. Tiān wèn 天问 « interroger le ciel » est en effet le titre d’un poème de celui qui est considéré comme le fondateur de la poésie chinoise Qū Yuán 屈原 (vers -340 – 278 av. J.-C .).

Comme quoi à chaque fois que l’actuel régime chinois réussit une prouesse technologique

tendue vers le futur, il prend bien soin de l’enraciner dans la splendide continuité de son passé,

ce que l’Europe et surtout les USA ont plus de mal à faire.

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