Robinson à Pékin

Les tribulations d'un français en Chine

Éric Meyer est un maverick, un descendant méconnu de Samuel Augustus Maverick (1803–1870). L’esprit d’indépendance de cet éleveur texan était tel que son nom de famille désigne, aux USA, avec une nuance positive, quelqu’un qui ne se conforme pas aux codes conventionnels.

Mais Éric Meyer est une variété rare de maverick, c’est un maverickus sinensis. Ce qui conduit à une importante question : comment écrire « maverick » en idéogrammes ?

Il y a deux solutions pour écrire un mot étranger en caractères chinois. La plus courante consiste à utiliser des idéogramme dont la prononciation s’approche le plus possible de la sonorité du mot étranger, et dont l’assemblage forme une suite tellement incohérente qu’un Chinois comprend tout de suite qu’il s’agit d’un mot étranger. Pour « maverick », on trouve 马维利科 mǎ wéi lì kē, soit le galimatias suivant : cheval – maintenir –  avantage – science !

 

Une autre solution, plus élégante, consiste à rechercher dans la langue chinoise un équivalent non du son, mais du sens du mot qu’on cherche à transcrire. Pour « maverick » certains dictionnaires anglais-chinois proposent l’expression 孤胆 gū dǎn. Dans ce binôme le premier idéogramme 孤 gū, signifie : solitaire, et le second 胆 dǎn, est le nom médical de la vésicule biliaire. « Vésicule solitaire » voilà une bien étrange expression ! Pour la comprendre, il faut se reporter à la pensée corrélative chinoise qui associe organes et tempéraments.

A la vésicule biliaire est rattachée toute une série de qualités psychologiques telles que : le courage, l’audace, le culot. Et c’est pour cela qu’on retrouve très souvent cette expression dans les romans et les films de cape et d’épée que les Chinois appellent 剑侠 jiàn xiá, ou wǔ xiá 武侠, littéralement : les histoires de paladins (侠 xiá) à l’épée (剑 jiàn) ou les récits de chevaliers (xiá 侠) des arts martiaux (wǔ 武). Dans ces sagas, dont les Chinois raffolent, le héros principal est le plus souvent un chevalier solitaire qui pourfend avec audace les injustices et déjoue avec astuce les abus des bureaucrates.

孤胆 gū dǎn semble tout-à-fait convenir pour désigner cet intrépide journaliste arrivé en Chine Populaire en 1987, sans nul journal pour le soutenir, et avec pour tout viatique une accréditation obtenue in extremis et que le ministère chinois des Affaires étrangères se promettait d’emblée de révoquer sous douze mois.

Lisez son histoire, vous le verrez déjouer les pièges de la censure chinoise, se méfier des « cougars », ces femmes fatales que le régime utilisait pour piéger et expulser les étrangers encombrants. Découvrez une Chine qui n’existe plus, celle des « magasins de l’Amitié » (友谊商店 yǒu yì shāng diàn) copiés sur les « Beriozka » de l’Union Soviétique, où l’on payait en FEC (Foreign Exchange Currency), les wài huì 外汇, ces billets de Monopoly réservés aux étrangers. Promenez-vous dans une capitale aux millions de vélos où, passé 19 h on ne trouvait plus un seul restaurant ouvert et où à l’époque de son arrivée fonctionnaient encore les tickets de rationnement pour certains produits alimentaires.

Et puis surtout vivez en compagnie de ce Gavroche intrépide l’extraordinaire souffle du printemps de Pékin place Tian An Men où chaque jour, jusqu’à cette terrible nuit de juin, cinq cent mille pékinois venaient soutenir et encourager les revendications démocratiques des cinq mille étudiants en grève de la faim.

Photo Crédits : AFP / CATHERINE HENRIETTE | 

Maverick jusqu’à la dernière page, déjouant embûches et pièges, Éric Meyer restera plus de trente ans en Chine, produisant depuis Pékin « le Vent de la Chine », une newsletter politique et économique particulièrement documentée et appréciée, et qu’il continue d’éditer depuis son retour en France. Je commençais toujours ma lecture de cette parution hebdomadaire par la dernière rubrique, appelée « petit peuple » qui narrait les tribulations, parfois incroyables, de Chinois de tous les jours, car j’y retrouvais l’humour savant d’Éric Meyer (chaque épisode est assorti d’un proverbe classique chinois) et la tendresse humaine qu’il a toujours envers les gens.

de Eric MEYER  (Auteur) & Aude MASSOT (Illustrations)

Éditeur ‏ : ‎ URBAN COMICS (4 juin 2021)

Préface Cyrille J.-D. JAVARY

En atterrissant à Pékin le 5 septembre 1987, le journaliste Eric Meyer n’aurait jamais imaginé rester sur place plus de quelques mois. Pourtant, plus de trente belles années séparent ce jeune homme curieux et débordant d’entrain de l’homme qui nous raconte aujourd’hui son histoire. Celle d’un coup de foudre pour une culture aux antipodes des codes occidentaux, d’une vie semée d’embûches mais d’autant d’émerveillements. Car décider de vivre en Chine, d’y travailler et d’y fonder une famille, c’est choisir de plonger dans l’inconnu, chercher à comprendre l’autre sans le juger, respecter sans pour autant adhérer. Et en effet, certains événements trouvent difficilement de justifications recevables. C’est à ce moment-là que la plume du reporter s’élève et prend le risque de dénoncer les agissements d’un régime froid, impitoyable et tout puissant en apparences. Dans ROBINSON À PÉKIN, Eric Meyer revient sur ses deux premières années de vie en Chine, son acclimatation à la vie locale, mais aussi sur « le printemps de Pékin » qui vit se multiplier les manifestations d’étudiants, d’ouvriers et d’intellectuels chinois, jusqu’à leur répression, le 4 juin 1989, sur la place Tian’anmen. Un témoignage unique en son genre, foisonnant d’anecdotes et de situations à peine croyables. Une tranche de vie à nulle autre pareille.

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