L'esprit des nombres écrits en chinois

La non-séparation entre nature et culture

L’idéogramme qui signifie « idéogramme » va nous ouvrir à une autre différence fondamentale de l’écriture chinoise: la continuité qu’elle instaure entre la nature et la culture.

Cet idéogramme est le mot Wén 文 , dont le sens fondamental est « lignes ». Toutes les sortes de lignes. Celles qui sont produites par la nature, les fentes, les crevasses, les stries, les veines sur les troncs des arbres, les marbrures à l’intérieur du jade, les raies du pelage des tigres ou des zèbres.

De là, ce signe en viendra à désigner les lignes copiées sur la nature et tracées par les hommes : les « caractères écrits ».

Ensuite, en raison de l’énorme valorisation que la civilisation chinoise voue à l’écriture, il en viendra à signifier « ornement », « élégance », « raffinement », pour finir par devenir le symbole même de la classe des mandarins lettrés, la valeur la plus vénérée de la civilisation chinoise, celle de la « culture » en général, et celui du primat absolu du « civil » sur le militaire.

Dans un roman empli de finesse et d’odeurs, François Cheng, le plus grand lettré chinois francophone, fait dire à un de ces personnages:

« Assez doué pour l’art du trait, je me mis à étudier sérieusement la calligraphie. J’appris à copier les modèles de différents styles laissés par les maîtres anciens mais également à observer les modèles vivants qu’offrait la nature ominiprésente : les herbes, les arbres et bientôt les champs de thé en terrasse. A force d’observer ces derniers, je finis par connaître par coeur leur configuration : de vraies compositions savantes. Je constatais à quel point ces alignements réguliers et rythmés, apparemment imposés par les hommes, épousaient intimement la forme sans cesse différenciée du terrain, révélant ainsi les « veines du Dragon » qui les structuraient en profondeur. Pénétré de cette vision que nourrissait mon apprentissage de la calligraphie, je commançais à me sentir en communion charnelle avec les paysage ». *

* François Cheng, Le dit de Tianyi, Éd. Albin Michel, 1998, p.19

Toutes les grandes civilisations nées sur le continent eurasien ont théâtralisé l’invention de l’écriture comme résultant d’un don divin, radicalisant la coupure mythologique entre le monde humain et le reste de la création, entre la nature et la culture.

La pensée chinoise n’a jamais développé une idée pareille. Le fait d’écrire lui est toujours apparu comme un acte naturel. 

La caractère représentant tout ce qui a trait à l’écrit le dit bien : les idéogrammes sont des copies humaines des lignes que la nature écrit au coeur du jade et sur les troncs des arbres.

De cette conception unitaire de l’acte d’écrire viendra l’importance accordée au raisonnement par analogie

qui est un des ressorts de la symbolique chinoise en général

et de la symbolique numérique en particulier…

C’est à une joyeuse et savante pérégrination que nous convie Cyrille Javary, au coeur de l’univers étrange des nombres écrits en idéogramme.

Omniprésents dans la vie quotidienne comme dans la culture lettrée, dans les allégories, les proverbes, les carrés magiques, les jeux, le calendrier, le Yi Jing, les palais de la Cité Interdite, et les discours des dirigeants politiques, les nombres sont des emblèmes méconnus qui nous ouvrent les portes de la symbolique chinoise.

Une foule d’anecdotes, de détails historiques, étymologiques et socioculturels, livrés avec humour, ponctuent ce travail érudit pour le plus grand plaisir du lecteur.

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