Dans la cité pourpre interdite

Épisode 1 : Une cité antique ?

Pékin, nous assurent des ouvrages très officiels est une ville de longue histoire. La preuve en est que « En 916 de notre ère la dynastie des Liao établit sa capitale à Pékin et que depuis lors, la ville est restée capitale durant la dynastie des Jin, celle des Yuan, puis des Ming et enfin des Qing, pour être officiellement proclamée capitale de la République Populaire de Chine le 1er  Octobre 1949 par le président Mao Zedong » [1].

[1] The Forbidden City in Beijing compiled by Zheng Zhihai and Qu Zhijing, publié par China Today press, Beijing 1993. On lit notamment dans la préface de Mr. Shan Shiyuan : « Many books and picture album about the Forbidden City in Beijing have been published in recent years, but most of them are either too terse in text or not informative enough”. 

Impressionné, après un discret calcul (1949 – 916 = 1033) chacun en déduit avec admiration que Pékin est capitale de la Chine depuis plus d’un millénaire. Mille ans, d’un certain point de vue c’est assez peu, surtout quand on songe que la pensée chinoise s’est forgée il y a plus de trente cinq siècles, mais un millénaire cela rend une capitale déjà assez vénérable quand on la compare à d’autres capitales, comme Londres ou Paris qui, maigres bourgades en l’an mil, ne peuvent se targuer de tant d’ancienneté dans leur rôle de capitale.

La tournure du texte chinois est efficace : comment être autrement qu’impressionné, au vu de cette suite de dynasties, par une ancienneté aussi continue ! Il est juste dommage que la réalité historique soit un peu plus nuancée. Les Liao par exemple, ne sont une dynastie qu’à moitié chinoise et les Yuan une dynastie complètement mongole. Et puis entre les deux, prend place un des sommets de l’histoire chinoise : la dynastie des Song, qui donna au monde les céladons et parmi les plus grands chef-d’œuvre de la poésie classique et de la peinture de paysages et d’animaux. Ils eurent deux capitales Kaifeng au bord du Fleuve Jaune d’abord et Hangzhou, près de l’actuelle Shanghai, ensuite, quand les barbares eurent conquis le Nord de la Chine. Les Qing enfin, qui terminent la liste, ne sont en aucun point chinois. Ce sont des Mandchous qui se rendirent maître de l’empire chinois au milieu du 17° siècle. Ils ne furent renvoyés dans leurs froides plaines du nord  que finalement à l’orée du XX° siècle. Lors, en 1911, le parti Kuomintang qui avait depuis Canton proclamé la République de Chine en 1911, installa sa capitale à Nankin. Il n’en partit que chassé par l’agression japonaise, s’installant à Chongching pendant la durée de la guerre avant de revenir à Nankin jusqu’à la fin de la guerre civile.

Ce n’est pas seulement pour dénigrer la capitale des nationalistes vaincus que le sudiste Mao (il était natif du Hunan) a choisi de s’installer dans la nordique Pékin. Il y avait aussi le désir plus ou moins avoué d’accréditer dans l’esprit ou plutôt le subconscient des paysans chinois l’idée que le nouveau régime institué par le Parti Communiste était dans la juste continuité de leurs ancêtres.

Pékin n’est ni la ville ultra moderne que les nostalgiques s’acharnent à dénigrer ni la ville ancienne que les autorités chinoise s’acharnent à détruire.

Pékin avant d’être la nordique capitale de la Chine fut est d’abord une ville mongole, la méridionale capitale de Kubalay Khan, l’imposante « Khanbalik », la ville (balik) du Khan qui impressionna tant Marco Polo.   De cette période elle garde un souvenir diffus inscrit seulement dans les vastes travaux hydrauliques creusés de toutes pièces par les occupants. Les Mongols, qui sont tout sauf des marins, lorsqu’ils eurent réalisé les immenses lacs qui jouxtent toujours l’Ouest de la Cité Interdite, les trouverent si vastes qu’ils les appelerent des « mers », noms qu’ils ont gardé par la suite en chinois : la « mer » du Nord (bei hai) les « mers » du centre et du sud (zhong nan hai).

Kubilai Khan, musée national de Taipei

Les récits officiels assénent  avec une tranquille conviction que Pékin a cinq mille ans d’histoire. Sur un plan touristique, ils n’ont pas tort, le chiffre impressionne et renforce la légitimité immémoriale de l’actuelle capitale de la République Populaire. Nous devrions d’ailleurs les imiter, et proclamer sans vergogne que Lutèce est la capitale de la France depuis que la Gaule existe. Nul doute que les touristes américains y perdraient leur latin ! Mais après tout, il y avait bien un bourg sur une île de la Seine à un endroit stratégique assez important pour qu’une colonie romaine y soit installée en dur, au point d’y construire des arènes dont on voit toujours les vestiges. Que Charlemagne ait sa capitale bien loin en Allemagne et que les rois de France n’y aient fait bâtir leur premier palais qu’au douzième siècle (à vérif) est secondaire par rapport à la noblesse que donne une antiquité de plus de deux millénaires.

À Pékin, cette ancestralité de pacotille aide à faire oublier que le projet d’édifier la Cité Interdite a tout juste six siècles … ce qui est bien peu au regard de l’ancienneté ininterrompue de la culture chinoise

Moutonnement infini de toits jaunes scandé de murs pourpres se reflétant dans les douves, la Cité Interdite de Pékin, le plus grand ensemble palatial du monde, offre un spectacle unique, celui d’une ville d’une beauté à couper le souffle. Ce chef-d’oeuvre est un décor grandiose dont la principale fonction est de mettre en scène la grandeur de l’empereur – garant de l’harmonie du monde et de l’ordre universel – et de proclamer la vertu fondamentale du Yin et du Yang. La beauté est venue de surcroît.


Illustrée par les magnifiques dessins de Patrice Serres, cette promenade au coeur de l’urbanisme symbolique impérial découvre les principes qui, depuis des siècles, fondent et ordonnent le pouvoir en Chine.

Editions Philippe Picquier, 2001

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